Après avoir lu le journal quasi quotidien tenu par les Premiers médecins de 1647 à 1715 (en fait 1711, car les trois dernières années ont été perdues), on réalise qu'il convient plutôt de dire qu'entre sa variole de 1647 et sa gangrène sénile de 1715, la vie de Louis XIV ne fut qu'une longue suite de graves accidents de santé dont il réchappa de façon d'autant plus surprenante que les traitements mis en oeuvre pour les combattre n'étaient souvent pas de nature à arranger les choses. « On ne s'accoutume pas à la santé du Roi. C'est un miracle qui recommence tous les jours », écrira madame de Maintenon, jugeant sur la distance.
Le journal de santé du roi
Si l'on consulte le Journal de la Santé du Roi qui fut fidèlement tenu par ses médecins successifs, Vaultier, Cousinot, Vallon, d'Aquin, Fagon, on s'aperçoit que la flatteuse figuration des peintres pourrait n'être qu'un trompe-l'oeil. Dans les termes de la Faculté, en effet, Louis XIV est le fruit d'un « père valétudinaire » et d'une « mère lymphatique ». Ses premières années sont fragiles ; il aurait pu mourir à l'âge de cinq ans de la petite vérole, à trente-cinq ans d'une fièvre maligne, alors qu'il était au siège de Calais, à quarante-cinq ans d'une fistule, à soixante-dix ans d'un diabète avec gangrène. Ces maux majeurs sont reliés entre eux par une série de maux mineurs dont le détail nous a été fidèlement transmis : malaises, vertiges, vapeurs, constipations, indispositions pour lesquelles Louis XIV supporta allégrement ou non potions, emplâtres, purges, lavements et saignées.
En 1676, la santé du roi est soumise à une rude épreuve ; il a un ulcère perforant de la voûte du palais, une sinusite maxillaire gangreneuse ; aliments et boissons refluent par le nez ; grâce à un traitement des plus judicieux cette fistule bucco-maxillaire a parfaitement guéri.
Devant pareille situation chronique, on peut se demander comment Louis XIV a su faire aussi bien son métier, tenir son conseil et sa cour, faire la guerre, bâtir, planter, chasser, aimer, donner le plus souvent le change par sa présence majesteuse, imposer son prestige à tous.
les dents dans un état effroyable
Ce journal nous apprend en détail que la denture de Louis XIV est dans un état effroyable. Non seulement toutes les dents de la mâchoire supérieure, abominablement cariées, ont été arrachées, mais l'opération, menée rudement, a ouvert un orifice dans la voûte du palais, ce qui fait, observe le Premier médecin d'Aquin, que « toutes les fois que [le roi] buvait ou se gargarisait, [ce trou] portait l'eau de sa bouche dans son nez, d'où elle coulait comme une fontaine ». Pendant des années, Louis XIV s'en accommodera, plutôt mal que bien, mais, dans le courant de 1685, l'odeur « forte et quasi cadavéreuse » qui accompagne ses régurgitations n'est plus supportable et le Premier chirurgien Félix procède, évidemment sans la moindre insensibilisation, à quatorze pointes de feu, et en profite pour arracher les dents cariées du bas. Le malade, inondé de fleur d'oranger, mettra plusieurs mois avant de reprendre le rythme de ses repas en public.
La gangrène
Un an avant sa mort — il avait soixante-seize ans — Louis XIV semble être moins bien, il a maigri. Son
médecin, Fagon, était encore plus mal que lui et ne s'apercevait pas de la maigreur de Louis XIV malgré le fait que les courtisans lui en parlassent souvent.
C'est au début d'août 1715 que le roi, revenant de la chasse, se plaignit d'une douleur « sciatique » du côté
gauche. Il a de la peine à marcher mais il mange avec bon appétit. De même il buvait énormément de vin et de tisanes. Il était toujours très altéré et buvait souvent entre ses repas beaucoup d'eau froide ou glacée, additionnée d'un peu d'eau de fleur d'oranger.
La jambe gauche commence à enfler et la douleur augmente. On prescrit quelques mouchetures avec une lancette et des incisions profondes : on y constate de la gangrène.
Le malade s'affaiblit, présente des mouvements convulsifs et il n'a plus ses esprits ; la gangrène est limitée au-dessous de la jarretière. On appelle des charlatans qui donnent des remèdes miracles, bien sûr sans effet. Le roi meurt le 1" septembre 1715 à 8 heures du matin.
Bilan de santé
Bien sûr, Louis XIV apparaît moins altier et royal dans la réalité que sur les tableaux qui nous sont conservés. Mais il faut rendre justice à sa constitution remarquable qui lui a permis de résister jusqu'à un âge avancé non seulement à de très nombreuses maladies, mais aux actes médicaux et chirurgicaux de ce siècle. La sélection naturelle permettait aux hommes et aux femmes de l'époque qui avaient victorieusement passé les maladies de l'enfance de tenir le coup. Faisons le bilan : on note depuis l'année 1655 une scarlatine des plus malignes (1658), une rougeole d'un assez mauvais caractère (1663), des vertiges et des vapeurs qui commencent vers 1662 et font le tourment du roi jusqu'à la fin de sa vie, des rhumatismes très fatigants, des fièvres intermittentes rebelles, une carie de l'os de la mâchoire supérieure (1676), une fistule (1686), des ophtalmies, diverses maladies de la peau ; en 1696 et en 1704, des furoncles de fort méchante nature (la plaie est plus grande que la main), une luxation du coude suivie de tumeurs indolentes qui suppurent, des parasites dont il est souvent fait mention, une goutte quasi permanente, des « indigestions dégoûtantes » et qui sont accompagnées de tels orages des voies digestives que le roi se voit contraint de quitter à l'improviste tantôt son conseil, tantôt le salon de Mme de Maintenon, tantôt la famille d'Angleterre, et fort souvent la table. Cette description peut fort bien convenir à des attaques en liaison directe avec l'inflammation de diverticules du côlon, particulièrement au niveau du sigmoïde, son segment inférieur.
Durant ce long martyre infligé au roi par la maladie et l'intempérance, et forcément aussi par la médecine, Louis XIV a été saigné largement et « avec une ferme résolution de soulager la nature » trente-huit fois du pied ou du bras. Il a pris, de 1647 à 1715, en comptant en moyenne deux par mois, et c'est peu, près de deux mille médecines purgatives de précaution ou d'urgence ; il a reçu quelques centaines de clystères, usé plusieurs livres de quina. Il a été labouré par le fer et le feu, il a expérimenté tous les cordiaux, toutes les tablettes, tous les bouillons médicinaux, tous les emplâtres possibles auxquels il résista magnifiquement... S'agissait-il déjà de surconsommation médicamenteuse ?